Les Misérables

Livre II, chapitre XII, p. 129-130 : depuis La porte s’ouvrit jusqu’à et je la donne à Dieu

Introduction

Ce passage se situe à la fin du livre II. Jean Valjean a reçu l’hospitalité de l’évêque mais durant la nuit il s’est enfuit en emportant les couverts en argent de celui-ci. Le lendemain, les gendarmes ramènent Jean Valjean chez l’évêque. On pourrait s’attendre à ce que l’évêque accuse le bagnard mais il ment à plusieurs reprises évitant à Jean Valjean une nouvelle condamnation. Cette page de roman qui est la dernière d’un chapitre est écrite avec une abondance de paroles rapportées au discours direct, ce qui se rapproche d’une scène de théâtre.

La valeur dramatique et spectaculaire du passage

Cette scène de roman utilise des effets dramatiques. C’est une apparition spectaculaire : la scène commence par une porte qui s’ouvre. Le paragraphe qui suit ne donne pas tout de suite l’identité des personnages. l’explication est donnée en fin de paragraphe. Les parties narratives très brèves sont nécessaires. Elles jouent le rôle des didascalies au théâtre. Une succession de coups de théâtre s’effectue pour le lecteur mais aussi pour les personnages sauf celui de l’évêque :

Le rôle dominant de Mgr Myriel

Les personnages secondaires forment deux groupes antithétiques (4 hommes - 2 femmes). Les gendarmes incarnent l’ordre. Victor Hugo le confirme à l’aide de détails : le salut militaire, l’apostrophe respectueuse, l’obéissance totale à la hiérarchie religieuse. Cependant on remarque une certaine brutalité (tenaient […] au collet ; tutoiement du vagabond ; l’interjection silence montre l’autorité des gendarmes). Ces petits détails donnent son aspect réaliste à la scène. L’autre groupe, les deux femmes, est à peine évoqué en deux lignes. On remarque la triple répétition de l’adverbe privatif sans. Elles ont compris la générosité de l’évêque et s’y soumettent sans poser de questions. Les deux groupes incarnent donc deux valeurs antithétiques : la soumission à la loi et l’acceptation des valeurs de charité, valeurs chrétiennes.

L’évêque domine toute la scène par sa rapidité d’analyse. Il a déjà compris que Jean Valjean a raconté une histoire. Il choisit de mentir car la charité est supérieure à la vérité. Il joue la comédie parfaitement (Ah, vous voila). Il sait utiliser son pouvoir (vous vous trompez). Il manifeste de l’humour en rappelant qu’il n’était pas nécessaire de passer par le jardin. Il sait aussi congédier les gendarmes avec grandeur.

En face Jean Valjean est complètement dominé par une sensation qu’il ne comprend pas. Il ne s’exprime que deux fois (l. 11 et 35). L’auteur se réserve quelques passages au point de vue omniscient pour faire comprendre la stupéfaction du personnage. Hugo n’utilise que de courts paragraphes dont certains ne font qu’une ligne. Le personnage est dans un état second. Il n’est pas en état de comprendre la générosité de l’évêque. Il vient de vivre des émotions contradictoires trop fortes : la peur d’être repris, la surprise d’être libéré. C’est dans cet état d’égarement qu’il va rencontrer Petit-Gervais et le voler involontairement.

Le rôle dominant de Mgr Myriel

Après le départ des gendarmes, l’évêque s’adresse à Jean Valjean dans un aparté (voix basses). Seul l’évêque prend la parole à deux reprises. La première fois pour le rappel d’une fausse promesse : en échange d’un don qui a une valeur marchande, il demande au bagnard de redevenir honnête. Il s’agit ici d’une simple réinsertion sociale. Mais la demande de l’évêque est plus profonde, l’expression avec solennité le confirme. L’apostrophe mon frère contraste avec mon ami et apporte une connotation religieuse évidente. Le pacte établi par l’évêque rappelle clairement le pacte de Faust avec le diable mais il s’agit ici d’un pacte inversé. Jean Valjean doit devenir un saint et pas simplement un honnête homme. L’évêque demande à Jean Valjean non seulement de vivre selon les valeurs humaines mais aussi selon les valeurs divines. L’évêque a rempli son rôle sur terre, celui d’un passeur. Il s’agit d’un rachat au sens évangélique, comme le Christ a racheté par sa mort les péchés des hommes. Il s’agit de rédemption.

Conclusion

Cette fin de chapitre augmente l’action dans le domaine moral et religieux. C’est un nouveau départ pour Jean Valjean, c’est une conversion. Son histoire désormais rappellera les souffrances du Christ lors de la Passion. C’est aussi à ce moment la que l’évêque disparait du livre.